Vingt ans. Presque jour pour jour. Cela fait vingt ans que la délicate lumière d'un matin au bord du Doubs n'a pas caressé mes paupières et mes joues. Ayant déménagé depuis, la distance qui m'en sépare désormais complique un peu plus le voyage. Toutefois, il ne faut jamais dire jamais ! Et les vacances approchent...
J'étais moins porté sur la randonnée à l'époque, mais je garde tout de même un souvenir ému de balades pleines de surprises, épousant les méandres de cette rivière franc-comtoise. L'exploration des grottes et coteaux verdoyants qui couronnent ses rubans d'argent, était l'un des moments-forts de mes virées dans le massif en escalier du Jura, entre deux découvertes de cascades, résurgences, et balcons panoramiques sur la chaîne des Alpes. Le Doubs est une rivière trait d'union. Et boucle(s). Elle est un leitmotiv qui, descendu de la frontière franco-suisse par Mouthe, circonvolue, discute avec elle-même et tutoie les différents étages des plateaux jurassiens. Liant en douceur plusieurs départements, elle définit une partie de l'identité régionale en même temps qu'elle baigne un joyau sui generis...
![]() |
Vue cavalière de Besançon, Pierre d'Argent, 1575 |
S'il existe en France un endroit susceptible de fédérer amoureux de la nature et férus de culture, c'est bien le cœur de la plus grande cité arrosée par le Doubs et chef-lieu du département éponyme, Besançon. Le site en fer-à-cheval de "la Boucle" est spectaculaire et rare, c'est un véritable tableau : une enclave de collines sculptées et irriguées par l'art opiniâtre de sa rivière ; des arches de pierre jetées sur un lit d'eau calme, où se mire un centre historique riche de vieilles maisons comtoises bien conservées ; une harmonie sur laquelle veille jalousement, depuis 1693, la Citadelle, un des chefs-d'œuvre défensifs de Vauban.
Besançon, ville natale de Victor Hugo et cadre cher à Stendhal, labellisée Ville d'Art et d'Histoire depuis 1986, aux fortifications inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2008, et aux cent-quatre-vingt-huit édifices protégés au titre des monuments historiques, est aussi une commune vivante, ouverte sur le monde et féconde de talents ; un trait d'union entre le passé et le futur. À la recherche de festivals et d'événements pour nourrir mon inspiration cet été, je redécouvre ainsi que l'agglomération accueille de longue date un prestigieux concours de jeunes chefs d'orchestre, au sein d'un festival international de musique. Rencontre avec Jean-Michel Mathé, son directeur général.
Aubancien : Bonjour Jean-Michel Mathé, et merci à vous de prendre le temps de répondre à mes questions.
Jean-Michel Mathé : Bonjour Aubancien, merci de ne pas oublier Besançon qui vous avait visiblement marqué, et de faire découvrir à vos lecteurs notre évènement musical si particulier.
A : Pourriez-vous présenter en quelques mots votre parcours ainsi que vos fonctions actuelles ?
JMM : Je suis originaire de Clermont-Ferrand, j’ai suivi un cursus à la fois scientifique (école d’ingénieurs) et musical (violon au conservatoire). Dès la fin de mes études, j’ai pu opter pour une carrière dans les coulisses de l’univers de la musique, en travaillant d’abord à l’auditorium de Lyon pour des missions techniques puis à l’Orchestre national de Lyon comme régisseur général. Par le bénévolat j’ai découvert le célèbre Festival de La Chaise-Dieu (Haute-Loire), dont j’ai repris la direction générale et artistique de 2003 à 2012, avant de venir à Besançon diriger le Festival et le Concours.
A : Pour des raisons de proximité géographique, les mélomanes angevins et ligériens qui me lisent sont assez familiers de la Folle Journée de Nantes, sans doute moins du festival international de musique qui a lieu chaque année à Besançon. Quelle en fut la genèse et quelles en sont les spécificités ?
JMM : En 1948, le chef d’orchestre Gaston Poulet proposa à quelques amis mélomanes bisontins l’idée d’un Festival. La légende raconte que c’est lors d’un dîner, en voyant la Citadelle de Besançon et la boucle du Doubs, qu’il aurait pensé à Salzbourg et à son festival... Dès la première édition, grâce à son carnet d’adresses, de grands orchestres, des solistes et même des compositeurs vinrent à Besançon en septembre : Furtwängler, Samson François, Kempf, Georg Solti, Honegger, Messiaen, Isaac Stern, Georges Prêtre et tant d’autres…
En 1951, un Concours international de jeunes chefs d’orchestre est créé, pour aider les jeunes talents amateurs ou professionnels à accéder à cette profession si particulière. Peu à peu, le Festival grandit, se professionnalise, s’exporte en région Franche-Comté, s’ouvre à d’autres répertoires et d’autres esthétiques.
De nos jours, le festival se déroule toujours mi-septembre, avec dix jours de concerts et une semaine de concours en plus les années impaires. La musique symphonique reste reine, mais le festival propose aussi musiques vocale, de chambre, baroque, récitals, et plus récemment des musiques du monde et du jazz. La musique contemporaine est également à l’honneur avec un dispositif original de résidence.
A : En quoi consiste le concours de chefs d'orchestre ? Quels grands noms et talents a-t-il contribué à faire connaître ?
JMM : Le Concours de Besançon s’adresse à des jeunes artistes de 18 à 35 ans, avec une spécificité très importante, celle de faire des sélections non pas sur dossier mais avec des auditions en avril/mai à Paris, Berlin, Montréal et Tokyo. Ainsi, près de trois-cents jeunes chefs dirigent deux pianistes devant deux jurés, et vingt d’entre eux sont sélectionnés pour les épreuves finales avec orchestre et solistes en septembre, devant le grand jury international et le public fervent qui suit les quatre journées d’épreuves, jusqu’à la finale où un seul Grand prix est décerné. Musique symphonique, concerto, opéra, et une œuvre en création mondiale sont au programme de ce "top chef" de la musique classique.
Parmi quelques-uns des grands lauréats, on peut citer : Michel Plasson, Zdenek Macal, Jesus Lopez Cobos, Jacques Mercier, Sylvain Cambreling, Yoel Levi, Osma Vänskä, Yutaka Sado ou encore Lionel Bringuier, sans oublier Seiji Ozawa qui a gagné en 1959 et donné une notoriété internationale au concours.
A : La soixante-seizième édition du festival se déroulera du 8 au 23 septembre 2023. Vous m'avez dit durant notre entretien téléphonique que les femmes seront cette année davantage mises en avant. Quels seront les thèmes, nouveautés ou arômes de ce cru 2023 ? Et quel compositeur en résidence le festival reçoit-il ?
JMM : L’édition 2023 s’inscrit dans une continuité avec le symphonique au cœur de la programmation, et près de huit-cents artistes invités : Orchestre de chambre de Lausanne sous la direction de Renaud Capuçon, les Dissonances, Orchestre national d'Île-de-France, chœur Tenebrae, ensemble Les Surprises, Gli Angeli Genève, Jean-Marc Luisada, les quatuors Talich et Parisii, le violoniste Nicolas Dautricourt… mais aussi plus de femmes : les cheffes d’orchestre Ariane Matiakh et la gagnante du Concours 2019 Nodoka Okisawa, les pianistes Suzana Bartal, Marie-Ange Nguci, les violoncellistes Emmanuelle Bertrand et Anastasia Kobekina, la violoniste Simone Lamsma, et d’autres encore.
Le festival se terminera par la semaine d’épreuves finales du Concours, sous la présidence du chef japonais Yutaka Sado qui a gagné le concours en 1989. Le compositeur franco-grec Alexandros Markeas poursuit sa résidence au festival, avec quatre concerts dont deux créations mondiales, notamment celle commandée pour la finale du concours le 23 septembre 2023 sous la direction des trois finalistes.
A : Un dernier mot pour la fin ?
JMM : Le Festival maintient son esprit d’ouverture avec une tarification très accessible de 10€ à 52€, et une série de concerts gratuits, notamment la grande soirée d’ouverture en plein air sous la Citadelle, le 8 septembre à 20h, avec l’Orchestre Victor-Hugo dans un programme de musiques américaines (Gershwin, Dvorak), puis une deuxième partie festive avec la fanfare Haïdouti.
A : Jean-Michel Mathé, merci beaucoup pour cet entretien. À bientôt en musique !
-------------------------------------------------
Entretien réalisé par Aubancien le 22 juin 2023.