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Sarabande de la suite No. 2 pour violoncelle en ré mineur BWV1008 (arrangement pour basse électrique)

... et de trois ! Après la sarabande de la quatrième suite, puis celle de la première suite, voici ma troisième sarabande enregistrée (arrangée pour basse électrique), tirée de ce monument de la littérature instrumentale, qu'est la somme des suites pour violoncelle du Cantor, Jean-Sébastien Bach. Nous sommes cette fois dans la suite No. 2 pour violoncelle en ré mineur BWV1008 : sarabande.

Il a fallu quelques années de réflexion et de maturation, avant de parvenir à un résultat susceptible de me plaire. Parmi les grandes difficultés et grands plaisirs - les deux ici vont de pair - de l'enregistrement sur basse électrique de ce répertoire, il y a l'exploration d'un terrain inconnu.

Bach se plaisait lui-même à transcrire et transposer ses propres œuvres, son répertoire global le démontre (la suite pour luth BWV995 est par exemple une autre version de la suite No. 5 pour violoncelle BWV1011). Pour autant, au moins deux freins subsistent pour l'interprète moderne qui souhaite créer une passerelle entre les deux époques et les deux univers esthétiques.

D'abord le frein psychologique : avoir entendu ces œuvres principalement dans leur instrumentation originelle, produit un tropisme, un pli dont il est difficile de se défaire. L'oreille doit donc se déconditionner, et imaginer ce qui est derrière ce qui n'est pas encore. Dit autrement, c'est à l'interprète de recomposer un morceau préexistant, en adaptant la lettre, tout en respectant l'esprit. La compréhension intime doit s'affranchir un peu de la vibration tonale particulière de l'instrumentation d'origine, si belle et adaptée soit-elle. Premier défi.

Second défi, l'arrangement technique proprement dit. Il est question ici d'adapter une œuvre destinée initialement à un instrument acoustique à quatre cordes frottées, largement monodique et d'essence mélodique, sur un instrument d'une tessiture et de registres à peu près comparables, mais électrique, à quatre cordes pincées, d'une polyphonie réduite, d'essence rythmique et harmonique (occasionnellement mélodique). Sur le plan des doigtés, des enchaînements, de la prise de son, des réglages d'égalisation, mais aussi dans le rapport au temps, à la durée des notes, nous sommes dans deux mondes totalement différents ! La basse électrique (fretless ou non, archet électronique ou non) n'est pas un violoncelle. Dont acte. Le rôle de l'interprète ici est de mettre en avant les qualités intrinsèques de son instrument de prédilection, non pas en tentant d'acquérir ce qu'il ne pourra jamais approcher ou imiter en termes de timbre et de lyrisme, mais en misant précisément sur ce qui fait le caractère sui generis de la basse électrique dans ce corpus. Et ainsi lui conférer une véritable valeur ajoutée, au-delà de l'anecdote.

La basse électrique, qu'elle soit jouée aux doigts ou au médiator, ne permet pas la tenue longue et nuancée dynamiquement, offerte par le violoncelle. Qu'à cela ne tienne ! Ne cherchons pas à tenir longtemps, cherchons à sculpter la phrase pour donner du relief et du sens aux notes. Il existe aussi des façons techniques et matérielles de contourner l'impression de pesanteur ou d'inertie, que des mouvements lents tels que les sarabandes pourraient engendrer. Éviter ce genre d'écueils "fait partie du jeu"...

Depuis Pablo Casals, les violoncellistes, comprenant que ce répertoire de Bach représentait un champ expressif immense, découvrant qu'à aucun moment les partitions manuscrites ne les limitaient à des récitatifs corsetés et mécaniques, mais bien au contraire les invitaient à s'approprier chacun, personnellement, subjectivement, l'horizon infini des nuances d'attaque, d'accents, de rubato, de legato, n'eurent de cesse de recréer ces œuvres dans un kaléidoscope de joie, de fougue, de mélancolie, de toutes les passions humaines possibles, au gré de leur sensibilité propre.

Qu'elles soient jouées au violoncelle, au banjo, au tuba, à la basse électrique, elles restent ce qu'elles sont ; la ré-instrumentation, dès lors qu'elle est raisonnée et en résonance avec l'esprit de l'œuvre, n'altère pas l'émotion intellectuelle, mystique et charnelle, que les suites pour violoncelle procurent. Le dialogue avec le silence, qu'elles partagent avec les sonates et partitas pour violon seul du même Bach, est un principe tectonique et consubstantiel, autant qu'une garantie de beauté pure, méditative, humble et forte à la fois, face au défi du temps. Une garantie d'éternité.